Bac de français : prenez une décision !

Destinataire(s) : le ministre de l'éducation nationale
Bac de français : prenez une décision !

Je suis professeur de français en lycée et j'ai en charge 73 élèves de première générale, soit deux classes. 73 élèves qui aimeraient bien savoir si l'oral et l'écrit auront vraiment lieu et surtout dans quelles conditions.

 

73 élèves inquiets.

 

En effet, la situation sanitaire impose de faire des choix puisque nous serons en demi-jauge à partir de lundi.

Pour ceux qui ne connaissent pas le système éducatif, cela signifie que je serai présente à temps complet mais avec une moitié de la classe seulement, soit 17 élèves, ce qui est une bonne chose du point de vue des règles sanitaires. Sans cette réduction, les condition d'enseignement ne permettaient pas de maintenir les distances en cours auparavant, ni dans les couloirs.

 

Je vais, pardonnez-moi, vous donner quelques précisions peu passionnantes pour ceux qui sont extérieurs à l'éducation, mais indispensables pour comprendre dans quelle situation ABERRANTE nous nous trouvons.

 

Les programmes dans ma matière demandent que nous étudiions quatre objets d'étude : le théâtre, le roman, la poésie et la littérature d'idées. Pour chacun de ces objets d'étude, deux oeuvres sont à lire par les élèves. L'une doit être étudiée de manière approfondie parce qu'elle constitue le sujet de la dissertation à l'écrit. Nous devons étudier plusieurs extraits pour les présenter à l'oral en explication linéaire, ainsi que des textes extraits d'autres oeuvres pour compléter la culture des élèves. Le nombre de textes étudiés en profondeur, initialement 20 textes, a été réduit et ramené à 14 textes. Il va sans dire que ce ne sont pas les seuls textes que nous devons étudier : il faut aussi les faire réfléchir sur un échantillon de textes qui permette de parcourir les siècles du XVIe au XXIe. Par ailleurs, il faut les exercer aux deux exercices de l'examen écrit : la dissertation et le commentaire. Enfin, ils doivent être capables d'analyser grammaticalement et avec précision des phrases extraites de la liste de textes.

 

Ce détour pour expliquer le programme est aussi destiné à montrer qu'il est très LOURD : 8 oeuvres, une quarantaine de textes en théorie - plutôt une trentaine en vérité - de la grammaire détaillée dont les effets doivent être connus, 3 types d'exercices (explication linéaire à l'oral, commentaire et dissertation à l'écrit), une culture littéraire étendue et des compétences à entraîner.

 

Nous avons en temps normal 4 heures par semaine x 36 semaines soit 144 heures pour boucler ce programme.

 

Sachant qu'il faut environ 3 heures pour une explication linéaire, 2 heures pour un devoir écrit, 1 heure pour corriger et essayer d'améliorer ce qui a besoin de l'être, 2 heures pour travailler sur l'oeuvre cursive, 5 à 6 heures pour bien parcourir une oeuvre complète, 4 heures pour faire un bac blanc pour s'entrainer à l'examen, voici le résultat mathématique de ces activités : 60 heures d'explication linéaire, 24 heures de devoirs écrits a minima (12 devoirs dans l'année), 12 heures de correction a minima, 8 heures pour les oeuvres cursives, 20 à 24 heures pour les oeuvres complètes, et au moins 1 bac blanc soit 4 heures, nous sommes déjà à 132 heures utilisées et nous n'avons pas abordé les autres textes, la grammaire, ni la culture littéraire liée à l'objet d'étude et encore moins accordé du temps à l'apprentissage des exercices pour l'écrit.

 

Il ne faut pas non plus que le professeur ait été malade dans l'année et non remplacé. Ce qui est mon cas même si, grâce aux efforts de ma hiérarchie directe et de mes collègues, quelques heures ont pu bénéficier d'un remplacement.

 

Pour faire simple : dans des conditions normales, ce programme, fruit de la réforme de M. Blanquer, N'EST PAS REALISABLE.

 

Or, mes élèves de première n'ont pas terminé leur année de seconde normalement à cause du Covid. Et ils sont aujourd'hui et jusqu'à la fin de cette année à mi-temps. Nous avons donc passé beaucoup de temps à compenser ce qui n'avait pas été fait comme nous avons passé beaucoup de temps à maîtriser l'exercice d'explication linéaire pour l'oral qui avait peu été abordé en seconde, les programmes chargés eux aussi ne le permettant pas.

 

Concrètement, voici où nous en sommes : 10 textes pour l'oral ont été étudiés, 6 oeuvres ont été lues, une n'est pas terminée (La Princesse de Clèves pour laquelle il nous reste encore 3 à 4 heures de travail). Les exercices écrits ont été travaillés mais les compétences sont encore fragiles chez beaucoup d'élèves, ce qui me paraît normal compte tenu du retard pris l'année dernière. Un objet d'étude n'a pas encore été abordé, la littérature d'idées. Ma collègue n'est guère en meilleure posture. Et croyez-le ou non, nous sommes des professeurs investies !

 

AUCUN AMENAGEMENT DES EXAMENS N'EST PREVU.

 

Que dois-je dire à mes élèves ? Que l'écrit aura lieu quoiqu'il arrive et que ceux qui ne sont pas assez rapides pour apprendre en accéléré devront se satisfaire d'une note qui les pénalisera pour le bac ? Malgré leurs efforts depuis le début de cette année pour intégrer les connaissances et les compétences ? Que je distribuerai des fiches pour compléter ce que nous n'avons pas eu le temps d'étudier en classe ?

 

Nous réclamons depuis des semaines au ministre de clarifier sa position au sujet des examens. Nous en avons TOUS besoin pour savoir quoi faire des 12 heures qui nous restent avant l'échéance des examens (12 parce que nous sommes en demi-groupes et que malgré toute ma bonne volonté, je ne peux pas faire travailler EN MÊME TEMPS des élèves qui sont chez eux et des élèves qui sont en classe).

 

Qu'arrivera-t-il si l'objet étude que nous n'avons pas vu tombe à l'examen ? Je suis pour l'instant INCAPABLE de leur répondre.

 

Au-delà de cette réforme qui alourdit les programmes sans donner d'heures pour les traiter, je demande donc à notre ministre M. Blanquer d'annoncer MAINTENANT ce qu'il compte faire pour les examens. Ou au moins de rassurer nos élèves et nous-mêmes en nous certifiant que plusieurs sujets seront proposés à l'écrit et que nos élèves ne seront pas pénalisés parce que son programme n'était pas tenable dans de telles conditions d'apprentissage.

 

Nous en avons besoin. Nous ne pouvons pas continuer à gérer l'angoisse de faire face à un examen injuste.

 

Mes élèves ont travaillé. Beaucoup. Ils ont progressé. Ils veulent simplement pouvoir montrer dans de saines et justes conditions leurs compétences.

 

Merci à tous ceux et toutes celles qui soutiendront cette demande urgente et que je crois plus que raisonnable dans le contexte qui est le nôtre.

 

Mise à jour - 05/05/2021

 

Le ministre s'est enfin prononcé ce soir. Voici donc les aménagements prévus :
- un double sujet à l'écrit, c'est-à-dire le choix entre deux dissertations et deux commentaires
- un descriptif oral qui mentionnera les points de grammaire non étudiés, le nombre de textes étudiés et les objets d'étude non vus.
- à l'oral, l'examinateur proposera au candidat un choix entre deux textes de sa liste.
- Enfin, pour la seconde partie de l'épreuve orale, le candidat pourra s'appuyer sur l'oeuvre choisie en lecture cursive : il aura le doit de la consulter et de se référer à un passage précis pour montrer sa maîtrise de l'oeuvre.

Pour mes élèves, c'est une proposition qui fonctionnera car nous aurons terminé trois objets d'étude. Le choix entre deux sujets écrits est donc pertinent.
Néanmoins, dans certains établissements, les élèves n'ont pas pu étudier plus de deux objets d'étude parce qu'ils sont en demi-jauge depuis novembre dernier. Pour eux, deux sujets à l'écrit, ce n'est pas suffisant : si les deux objets d'étude proposés sont ceux qu'ils n'ont pas étudiés, ils ne pourront pas composer !!
Il faudra donc offrir à l'écrit non pas 2 mais 3 sujets pour envisager ce cas de figure. M. le Ministre devrait le savoir...
Merci à ceux et celles qui ont signé et n'hésitez pas à informer vos proches : des élèves ailleurs attendent encore une solution à l'écrit !

Auteur : FLATOT Valérie

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