Le journaliste Pascal Praud s’est réjoui d’un « Nouvel An asiatique » célébré sans heurts, dans son éditorial du vendredi 31 janvier sur Cnews. Mais plutôt que de formuler des vœux sincères envers les diasporas asiatiques, il s'est appuyé sur les Vietnamiens de France pour fustiger, sans les nommer, les personnes africaines et maghrébines vivant en France. Ainsi, cette façon de porter les Asiatiques sur le devant de la scène sur Cnews, sert en réalité l'agenda habituel de la chaîne : diffuser des idées d'extrême droite en entérinant l’idée d’"une submersion migratoire". Tous les chemins mènent à Rome.
Tout d'abord, précisons que le terme de "Nouvel An asiatique" est inapproprié car bon nombre de populations asiatiques ne célèbrent pas le nouvel an lunaire. L'emploi de "Nouvel An chinois" en titre de la vidéo n'est pas non plus adéquat, puisqu'il fait l'amalgame entre les Chinois et l'ensemble des populations asiatiques supposées le célébrer.
« Pas de voitures brûlées, pas de rodéos, pas de kalachnikovs », s'est réjoui Pascal Praud. Toutefois, le Nouvel an lunaire est une célébration culturelle n'ayant aucun rapport avec les événements cités. Y a-t-il des heurts pendant le Ramadan ou Hanoucca ? Non.
Le nez collé à son texte, l'éditorialiste se concentre rapidement sur le Vietnam, ''ex-colonie française" et les immigrés vietnamiens pour en faire un éloge culturaliste et essentialisant.
« Le Vietnam n’utilise pas la rente mémorielle, le Vietnam se développe » énumère-t-il, en opposition à d'autres anciennes colonies françaises - comme l'Algérie peut-être ?
« Ils sont une minorité visible en France, ils vivent souvent en communauté, ils ne sont pas catholiques, ils pratiquent le culte des ancêtres et le bouddhisme, les enfants sont éduqués, ils s’intègrent, ils respectent et les lois de la République et leur culture d’origine. »
Cette image de "bon immigré", fabriquée de toutes pièces, est ambivalente : les Vietnamiens seraient bien intégrés mais communautaristes ("ils vivent souvent en communauté"). On retrouve dans ces propos le vieux mythe de la minorité modèle qui puise ses fondements dans l'époque coloniale, lors de Première guerre mondiale, lorsque les travailleurs indochinois venus contribuer à l'effort de guerre tricolore étaient vus comme efficaces et besogneux.
La rhétorique du "bon immigré" place celui qui l'emploie dans une position d'ascendance, de maître qui distribue des bons points entre les "bons" et les "mauvais" immigrés. Quinze ans avant Pascal Praud, Nicolas Sarkozy l'avait utilisée lors de son discours du Nouvel an lunaire, lorsqu'il félicitait les "Français venus d'Asie" pour leur "intégration réussie", lui qui jugeait également que l'homme africain n'était "pas assez rentré dans l'Histoire", trois ans plus tôt.
Cette rhétorique est une manipulation de la réalité :
· Les Vietnamiens, venus travailler en France au cours des deux guerres mondiales, n’ont pas été bien accueillis, tout comme les travailleurs vietnamiens aujourd'hui dans les pays de l'ex-Europe de l'Est. Venus avant la chute du Mur, ils sont les premières victimes de l’extrême-droite et ce dès les années 1990 (incendie de Rostock).
· Dans ses propos, Praud réduit les "Asiatiques" aux Vietnamiens. En France aujourd’hui, une partie des Vietnamiens sont d’anciens étudiants ou appartiennent aux professions libérales - ne sont pas issues de milieux populaires comme la majorité des migrations du Maghreb ou de l'Afrique subsaharienne ou comme les dernières vagues d'immigrants asiatiques en provenance de la Chine visant à s'enrichir économiquement, plus nombreux, plus populaires, plus homogènes sociologiquement. Pourquoi comparer des communautés aux trajectoires différentes ?
· L’accueil des “boat people” à la fin des années 1970 fut exceptionnel : il s'inscrit dans un contexte où le chômage de masse n'était pas encore ancré et visait surtout à dénoncer le communisme. La Guerre froide n'était pas terminée.
· Avec la crise économique et sociale qui est devenue systémique, les chiffres montrent aujourd’hui que les Asiatiques sont également discriminés à l'embauche et à l’accès au logement, même si c'est dans une moindre proportion que les populations perçues comme noires ou maghrébines.
La description du “bon immigré” qu’est censé incarner le stéréotype vietnamien ou asiatique est en fait une injonction à rester discret, docile, invisible, c’est-à-dire à s’assimiler. Le sous-texte de cet éditorial est finalement : "Faites comme eux, au moins ils ne se plaignent pas".
Utiliser une communauté pour en dénigrer une autre est un processus sociologique appelé la « triangulation raciale », théorisé par la chercheuse Claire Jean Kim. Dans les années 1960, les Nippo-Américains étaient érigés (après avoir été enfermés dans des camps) en modèle d’intégration pour mieux saper les revendications des Afro-américains pour les droits civiques. Quant à la communauté instrumentalisée, elle est restée marginalisée car il était attendu d’elle qu’elle ne revendique rien, coincée dans un position intermédiaire entre majoritaire blanc et minorités noires.
Pascal Praud termine par cette interrogation : « Pourquoi ça marche avec certains, et pourquoi ça ne marche pas avec d’autres ? » ayant apporté plus tôt sa propre réponse : "un problème culturel". Si certains Asiatiques (en l'occurrence une partie des Vietnamiens) "ne posent pas de problème", c'est parce qu’ils sont souvent francophones et aisés dans leur pays d'origine, non pas parce qu'ils sont Asiatiques.
Cette question pourrait être formulée autrement : quelle est la place occupée par les immigrants dans la hiérarchisation raciale en France ? Pourquoi certains d'entre eux connaissent plus de difficultés économiques et sociales que d'autres ? De nombreux.ses chercheurs.ses ont pu répondre sérieusement à cette dernière question, sans recourir à l'unique prisme "culturel" comme le fait Pascal Praud.
Cet éditorial relève du « dog whistle » (en français "sifflet à un chien") à l’extrême droite, à savoir ici sous-entendre une hiérarchisation des positions racialement subalternes sans clairement les nommer, afin d'éviter une censure pour propos ouvertement racistes. En réalité, tous les migrants évoqués explicitement ou implicitement par cette tirade sont visés par une idéologie qui consiste, in fine, à hiérarchiser les groupes d’êtres humains en fonction de leur origine ethnique réelle ou supposée.
Nous prions donc M. Praud de bien vouloir garder ses vœux du Nouvel an lunaire pour lui, et de ne pas instrumentaliser une partie des Asiatiques, sous couvert de bienveillance, dans le but de nuire à la cohésion de la société.
Autrices :
Linh-Lan Dao, autrice de "Vous les Asiates, enquête sur le racisme anti-asiatique en France" aux éditions Denoël, co-porte-parole de l'Association des journalistes antiracistes et racisé.e.s (AJAR), membre du MCFV (Mouvement des citoyens français d'origine vietnamienne)
Liêm-Khê Luguern, historienne
Simeng Wang, sociologue, chargée de recherche au CNRS, membre du Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3), fellow à l’Institut Convergences Migrations (ICM), et coordinatrice du réseau de recherche pluridisciplinaire Migrations de l’Asie de l’Est et du Sud-Est en France (MAF)
Signataires chercheurs, responsables associatifs et personnalités publiques
(Les 150 premiers signataires)
Aaliyah Xpress, drag queen et médecin
AJAR, Association des journalistes antiracistes et racisé.e.s
Karen Akoka, politiste, Université Paris Nanterre
Aurélie Audeval, professeure Juniore à l'Université de Lille, titulaire de la chaire "indésirabilités"
Marine Bachelot Nguyen, autrice-metteuse en scène
Marion Mỹ Anh Baxerres, créatrice et co-fondatrice de Project AWR (Asian Women Representation)
Martial Beauville, porte-parole de l'association Asiagora et photographe
Hélène Bertheleu, enseignante-chercheure en sociologie, Université de Tours / UMR CITERES
Cai Chen, doctorant à l'Université libre de Bruxelles
Leanna Chea, actrice
Anthony Cheylan, journaliste
Chantal Crenn, anthropologue à l'Université de Montpellier 3
Quoc Dang Trân, scénariste
Noemi Didu, doctorante en anthropologie
Laurent Dornel , professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour
Thu-An Duong, Cofondatrice de Bissai Media
Vincent Geisser, chercheur CNRS à l'Université Aix-Marseille
Génération Panasiatique, association de jeunes militant.es asiatiques pour l'émancipation des communautés asiatiques et une une justice sociale et une approche décoloniale
Audrey Giacomini, actrice
Linda Guerry, historienne
Julie Hamaïde, fondatrice du média Koï
Sophie Hamisultane, sociologue
Philippe Hanus, anthropologue au Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA)
Miyako Hayakawa, postdoctorante à l'Université Libre de Bruxelles
Cao Minh Ho, doctorante en sociologie
Mélanie Hong, fondatrice de l’association Asiattitudes Family et créatrice du podcast Asiattitudes
Jacques Hua, entrepreneur
Gurvan Kristanadjaja, journaliste et auteur
Virginie Kuoch, enseignante-chercheuse
Frank Lao, auteur
Hélène Le Bail, chargée de recherche au CNRS et au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris, affiliée à l'Institut Convergences Migrations
Julien Le Hoangan, sociologue, chercheur postdoctorant à l'EHESS, membre du Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3) et membre du réseau MAF
Florence Lévy, postdoctorante au Collège de France
Yong Li, docteur en sociologie, ingénieur d’études, Dysolab, Université de Rouen Normandie
Chloré Luu, doctorante à l'Université de Californie du Sud
Grace Ly, autrice
Souba Manoharane-Brunel, entrepreneuse et fondatrice de l’association écoféministe Les Impactrices
Karine Meslin, sociologue
Linda Nguon, fondatrice de Banh Mi Pocast
Nguyên Đặc Minh , militant associatif, membre de l’Union Générale des Vietnamiens de France
Angélina Nguyen Tramond, présidente du MCFV (Mouvement des citoyens français d'origine vietnamienne)
Dôn « Nodey » Nguyen, musicien
Gérard Noiriel, historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), spécialiste de l’immigration et de l’histoire de la classe ouvrière, et président d’une association d’éducation populaire (le collectif DAJA)
Marie Palot, journaliste
Anna Perraudin, chargée de recherche au CNRS
Vipulan Puvaneswaran, militant écologiste et antiraciste
Alain Ruscio, historien
Emmanuel Santarromana, doctorant en Science Politique (CESSP-Paris 1)
Jérôme Tham Vo My, trésorier de l'Union Générale des Vietnamiens de France et artiste
Tran Anh Hung, réalisateur
Daniel Trân, conseiller d'arrondissement à Paris 13ème et président honoraire de l'AJCF (Association des jeunes Chinois de France)
Eléonore Trân, doctorante en Histoire de l'art contemporain à l'Université Paris 8 - EDESTA
Fabien Truong, sociologue, écrivain et enseignant à l’Université Paris 8
Slash Asian, premier média asioféministe français
Thérèse, artiste
Dominique Vidal, professeur des Universités (Université Paris Cité / Urmis)
Can Vu Ngoc, membre du MCFV (Mouvement des citoyens français d'origine vietnamienne)
Valéry Vuong, vice-président du CRAAF (Conseil représentatif des associations asiatiques de France)
Raphäl Yem, animateur TV
Rui Wang, conseiller municipal de la ville de pantin, ex-président de l'AJCF (Association des jeunes Chinois de France) et chef d'entreprise
Signataires (par ordre de signature)
Angélique Zaini, comédienne
Mai H-Xuân, médecin et chargée de communication du MCFV
Christelle Pécout, autrice de BD
Trâm-Anh Vo, graphiste-illustratrice
Yên Trân, ouvrière-joaillère
Maïmouna Barry, journaliste
Jade Lieu, journaliste
Micheline Pham, chargée d'études transition écologique
Marion Boutte, artiste
Boulomsouk Svadphaiphane, autrice, réalisatrice, artiste
Tuong Vi Nguyen Long , cheffe Monteuse - réalisatrice
David Chour, comédien
Sung-Shim Courier, journaliste
Céline Trân, consultante
Rémi-Kenzo Pagès, journaliste, co-porte-parole de l’AJAR
Mia Ma, réalisatrice
Ken Iwasaki Garcia, professeur d'histoire-géographie
Marie Pham Cong, restauratrice
Le Thi Anh Hien, directrice artistique freelance
Alice Gervat, artiste
Michael Appolaire, cadre commercial dans la finance
Lauriane Roger-Li, journaliste et autrice
Melody Ung, illustratrice
Arnold Mensah, acteur
Adrien Cornillot-Appavou, journaliste
Yen Linh Tham, artiste
Iris Ouedraogo, co-présidente de l'AJAR et journaliste podcast
Marie Mir, étudiante
Mélina Lin, étudiante
Nam Hoang, humoriste
Sonia Boujamaa, journaliste
Julie Tomiche, journaliste
Nathan Lautier, journaliste pigiste
Sarah McGrath, directrice générale de Women for Women France
Sophie Song, cadre
Frédérique Tran Son Tay, responsable Grands Évènements de l Union Générale des Vietnamiens de France
Allison Petillot, productrice
Anas Daif, journaliste et auteur
Angelica Kiyomi Tisseyre Sékiné, artiste
Nam Tran, consultant en informatique
Francois Sok, ingénieur en data
Nawal Benali, journaliste
Christine Kev, cheffe de projet-freelance
Mike Nguyen Van Le, acteur
Angélie Pham, docteure en pharmacie
Savannah Truong, Directrice Générale de Kick Café
Yasmine Choukairy, journaliste
Thanh-Quy Nguyen, développeur informatique
Dimitri Jean, journaliste
Dominique Demiscault
Ben Ismaël Karim, écrivain
XM Tran, artiste
Vu-Quan Nguyen-Masse , auteur et directeur stratégie
Soraya Morvan-Smith, journaliste et enseignante
Elsa Chou, sans-emploi
Akina Pied, étudiante en journalisme
Zhulin Zhang, journaliste
Alyssia Gaoua, journaliste
Paul Nguyen, comédien et metteur en scène
Noémie Linh, membre de l'Union Générale des Vietnamiens de France
Maëlys Kapita, journaliste
Orian Lempereur-Castelli , membre au collectif Vietnam-Dioxine
Sophie Lor, artiste
N'namou Sambu , journaliste
Sylvie Khamphousone, autrice de livres jeunesse inclusifs
Aïssata Soumaré, journaliste
Lê de Narp Xuân Huy, entrepreneur
Bich Ha Duong, ingénieure
Amel Zaki, journaliste - cheffe d'édition
Ngoc Loan Huynh, consultante en communication
Arnaud Huynh, ingénieur informatique
Chau Van Anh Mai, Membre de l'Union Générale des Vietnamiens de France
Audrey Nguyen, responsable environnement
Siyu Cao, autrice
Yoan Bloyet, entrepreneur
Nirusha Natkunarajah, étudiante
Emilie Tôn, journaliste chez LinkedIn Actualités
Clara Soma, créatrice de contenu tech et société
Antoine Maokhampio, photographe
Billy Pham, cofondateur de la Bao Family
Joël Luguern, auteur de "Les Parasols de Da Nang"
YenKhê Trân Nu Luguern, artiste
Ines Khoun, étudiante
Cédric Aubry, photographe
Arwa Barkallah, journaliste
Pierre Porcher, professeur à la retraite
Juliette Phuong, formatrice conférencière inclusivité et égalité professionnelle
Louisa Benchabane, journaliste
Sonia Nguyen, consultante
Charles Dengpheng, photographe
Laëtitia Baron, cheffe d'entreprise
Henriette Nhung Sauret, comédienne
Liem Binh Luong, maître de conférences, praticien hospitalier
Xuyen Parsy, consultante événementiel
Meng Kou, doctorante en sociologie
Kianuë Tran Kiêu, artiste
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